L'usage contraire à l'intérêt social




L'infraction d'abus de biens sociaux suppose un usage des éléments constituant le patrimoine de la société, contraire à ses intérêts. Pour apprécier si un acte d'usage est contraire à l'intérêt social, encore faut-il cerner l'intérêt de la société.

La difficulté tient à l'absence de définition légale de la notion d'intérêt social. Cette notion est difficile à cerner, et la jurisprudence considère qu'il faut prendre en compte l'intérêt de la personne morale. Cet intérêt particulier étant distinct de celui des membres qui la compose.

Deux hypothèses d'acte d'usage doivent être distinguées : d'une part, l'acte d'usage est manifestement contraire à l'intérêt social lorsque le dirigeant détourne des fonds, des biens de l'entreprise dans son seul intérêt personnel. Dans ce cas, la caractérisation de l'acte contraire à l'intérêt social ne soulève aucune difficulté. Par exemple le dirigeant fait payer par la société des dettes personnelles il sera personnellement condamné à payer une amende à laquelle l’entreprise l’aura condamné ; le dirigeant finance sur les fonds sociaux un parti politique dont il est adhérent, au-delà du seuil autorisé par la loi. D'autre part, une seconde catégorie d'actes d'usage soulève d'importantes difficultés que la jurisprudence a du résoudre. Doit-on considérer que l'acte d'usage est contraire à l'intérêt social lorsque le dirigeant détourne des biens sociaux du patrimoine de l'entreprise pour les utiliser, non pas dans un intérêt personnel, mais en faveur de la société ? Sur cette question, la jurisprudence a évolué et combine désormais, le but illicite poursuivi par le dirigeant qui détourne les fonds sociaux, qui est nécessairement contraire à l'intérêt de la société et en outre, la violation de l'intérêt social qui est appréciée, non en terme de gains immédiats mais, à long terme, en considération du crédit de l'entreprise à l'égard des tiers. Par cet arrêt, la Cour de cassation entend montrer qu'elle fait une interprétation stricte des textes d'incrimination. En effet, la loi exige pour que l'infraction soit constituée, un usage des biens ou du crédit de la société contraire à son intérêt. En l'espèce, la Cour caractérise cette atteinte : en poursuivant un but illicite, l'auteur de l'acte porte atteinte au crédit de la société, au moins à long terme. Portant atteinte à ce crédit, il commet bien un acte contraire à l'intérêt social, et par conséquent, une application stricte des termes de la loi, impose une condamnation.

La jurisprudence retient donc, une conception de l'usage contraire à l'intérêt social, qui permet d'engager des poursuites à l'encontre de dirigeants qui réalisent des actes qui font courir un risque anormal à la société, à court ou à long terme, selon la jurisprudence la plus récente. Un arrêt postérieur de la Cour de Paris illustre l'application de cette solution dégagée par la Cour de cassation. La Cour de cassation maintient le cap de sa jurisprudence qui paraît désormais bien affirmée.

L'abus de biens sociaux ainsi conçu s'apparente à une infraction de mise en danger de la société qui n'est pas sans évoquer - adapté au droit des sociétés - le délit général de mise en danger d'autrui incriminé par le code pénal.

Le moment de l'appréciation du risque.

Eu égard à la fluctuation de la conjoncture économique, l'appréciation de l'opportunité et des dangers de l'opération réalisée présente d'importantes difficultés pratiques. Afin de permettre une évaluation juste du risque crée, la jurisprudence considère qu'il doit être évalué au jour où la décision contraire à l'intérêt social est prise par les dirigeants, c'est à dire au jour de la commission de l'acte, et non au jour où cet acte produit un résultat. En effet, entre le jour de la prise de décision et le jour du résultat, il peut se produire des événements imprévus qui perturbent les prévisions des dirigeants et rendent préjudiciable une opération estimée normale .Il n'est pas envisageable dans cette hypothèse, d'engager des poursuites pénales à l'encontre du dirigeant.

L'absence d'effet exonératoire de l'approbation de l'acte par les organes sociaux. Cette ratification n'enlève pas le caractère délictueux à l'acte et ne fait pas par conséquent, obstacle à l'exercice de poursuites pénales. Cette absence d'effet exonératoire se justifie d'une part, eu égard au caractère préventif de l'incrimination d'abus de biens sociaux, d'autre part, parce que le consentement de la victime, en droit pénal, n'est pas un fait justificatif pour l'auteur de l'infraction.

La victime est la société représentée par ses organes, le quitus donné par l'assemblée ne peut pas paralyser les poursuites pénales qui seraient engagées par le ministère public.

L'appréciation de l'intérêt social dans les groupes de sociétés.

Des difficultés quant à l'appréciation de la contrariété d'un acte à l'intérêt social, peuvent surgir lorsque les entreprises sont constituées sous forme de groupes de sociétés. Le patrimoine d'une société du groupe est l'objet d'un acte de détournement au profit d'une autre société appartenant au même groupe (par exemple, une société bénéficiaire du groupe cautionne un emprunt en faveur d'une autre société du groupe qui a besoin de trésorerie : abus de crédit social. Pour qualifier cet acte, faut-il apprécier sa conformité à l'intérêt social au regard de chaque société du groupe, ou au regard de l'ensemble considérant qu'il y a un intérêt social du groupe. La jurisprudence a été conduite à se prononcer sur la notion d'intérêt social dans cette hypothèse.

Les tribunaux considèrent qu'il faut prendre en considération l'intérêt du groupe qui pouvait alors, justifier les opérations financières réalisées, en opposition aux intérêts d'une société prise isolément. Il faut donc se placer au niveau du groupe pour apprécier les conséquences d'actes réputés préjudiciables pour l'une des sociétés. Cependant la jurisprudence a subordonné l'effet justificatif du groupe à trois conditions : il faut qu'existe un groupe économique réel fortement structuré ; des sacrifices doivent être supportés par une société du groupe ; ces sacrifices doivent être assortis d'une contrepartie et ne pas conduire à la disparition de cette société. Les juges admettent donc, la licéité d'avances de trésorerie à d'autres sociétés dans le cadre d'un intérêt commercial et financier commun. Ainsi, une société – mère en redressement judiciaire vend à un prix très bas sa participation dans une filiale à un groupe d'investisseurs dans lequel un administrateur de la société détenait des titres. Même si la cession est défavorable à la filiale, elle est conforme à l'intérêt du groupe dans la mesure où elle favorise le redressement. En l'absence de la réunion des conditions posées par la Cour de cassation pour la validité des actes effectués, les transferts de fonds d'une société à une autre demeurent délictueux.

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